Pierre Jans

Pierre Jans parle de sa rencontre avec sa famille danoise (extrait)

anniversaireUn jour, à la fin du mois de juin 1947, j’ai pris un train à la gare du Nord à Paris, avec de nombreux enfants que je ne connaissais pas, et nous sommes partis pour un pays inconnu: le Danemark.

Après un long voyage, avec de nombreux arrêts pour les frontières, nous sommes arrivés à Fredericia, et nous sommes enfin sortis de ce train, très sales et fatigués.

Quelqu’un nous a appelés, chacun par notre nom et nous a remis à la famille qui nous accueillait. J’ai été confié à une dame très belle, et un monsieur qui n’avait pas beaucoup de cheveux, qui fumait la cigarette et la pipe aussi: Karen et Aage SKOV.

Je crois que nous avons pris un autre train, et que j’ai dû beaucoup dormer. Je me souviens seulement de la traversée de Limfjord sur un bateau, et c’était magnifique, Je n’avais jamais vu la mer.

soestre3Nous sommes très vite arrivés dans une grande maison, très bien décorée avec de grands fauteuils, beaucoup de tableaux sur les murs, et j’ai été accueilli par une petite fille de mon âge: Lone, et une autre fille plus âgée, 18 ans peut être: Kirsten.

Et un soir, alors que j’étais au lit, quelqu’un est entré dans la chambre avec Mor. C’était une jeune fille avec une curieuse casquette blanche sur la tête. Elle m’a embrassé, m’a dit beaucoup de choses très gentilles en français et en danois mélange. Elle s’appelait Ellen et était très, très gentille avec moi.

Dans cette famille, j’ai été nourri de choses curieuses que je ne connaissais pas, j’ai appris très vite les mots essentiels pour me faire comprendre, j’ai été dorloté par cette dame très belle qui fumait des cigares et que j’ai très vite et pour toujours appelée Mor. Jai aussi vite appelé son mari Far et son père, qui fumait toujours la pipe, Farfar.

J’ai rencontré d’autres garçons français qui vivaient aussi à Nykøbing Mors, et nous avons fait connaissance et découvert cette ville ensemble. Nous alllions souvent jouer sur le port, et c’était une grande découverte pour moi .

Mais la véritable surprise a été le départ pour la sommerhus, et la mer toujours présente devant les yeux. La mer me fascinait. J’aimais voir le port, les grands bateaux qui amenaient le bois pour l’entreprise de Far. Je me souviens du déchargement des pièces de bois, du cheval qui tirait la voiture pour transporter ce bois, et de l’odeur très particulière des hangars où le bois était stocké.

skovJe dois reconnaître que j’ai vécu là les plus beaux moments de ma jeunesse, que Mor et Far m’ont véritablement traité comme leur fils, que j’ai tout appris auprès d’eux et qu’ils ont été d’une grande générosité, d’une grande patience, d’une magnifique tolérance avec ce garçon qui n’était pas toujours très sage ni très reconnaissant.

Farfar qui était un peu bourru au premier contact, m’a fait un jour, quelques années plus tard, un très joli cadeau que je garde précieusement: un petit couteau pliant avec lequel il nettoyait sa pipe. J’ai compris ce geste comme une grande marque d’affection, et je rappelle avoir eu au lycée la meilleure note de ma vie en français en racontant cette anecdote et en la commentant.

Après trois mois de vie heureuse à Mors, je suis rentré en France, je parlais assez le danois pour me débrouiller seul dans Nykøbing, je comptais en danois ce qui faisait peur à ma mère car il fallait reprendre l’école et elle croyait que j’avais oublié le français.

bateauJ’avais appris à nager, à ramer et à faire de la bicyclette.

L’été suivant en 1948, Mor et Far m’ont invité à venir chez eux pour les vacances, et j’ai passé à nouveau des jours merveilleux à Mors du 20 juin au 26 septembre.

Cet été-là, je crois, il y eut une grande fête pour le mariage de Ellen. J’avais un très beau costume et Lone était très belle. Ce fut une très belle journée, toute la famille était réunie, la cérémonie à l’église de Nykøbing m’avait beaucoup impressionné car c’était la première fois que j’assistais à un mariage.

En 1949, Mor et Far m’ont encore demandé si je voulais venir en vacances à Mors et bien sûr mes parents ont accepté leur invitation. Mon séjour s’est passé du 3 juillet au 20 septembre 1949.

Comme les années précédentes, le 9 juillet, la famille m’a couvert de cadeaux pour mon anniversaire, et cette fois- là pour mes 12 ans, j’ai reçu un couteau que je possède encore.

A la fin du mois d’Aout 1949, là il y eu à Nykøbing une grande fête: un grand anniversaire de la ville. Le roi et la reine étaient présents, et un grand bateau avec des Vikings en costumes anciens est venu dans le port. J’avais envoyé une carte postale à mes parents.

En 1949, j’étais le seul jeune français à Nykøbing.J’avais beaucoup d’amis danois de mon âge. J’étais très heureux.

Je ne peux pas oublier tous les moments joyeux que j’ai passés avec ma famille danoise dans des activités très simples: les longues promenades sur le bord de mer le soir après le repas, la cueillette des fruits rouges des « Rosa Rugosa » que Mor transformait en marmelade, le ramassage des framboises et des myrtilles à Sallingsund, des petits pois et des groseilles dans le jardin à Fjordvej 4.

FjordvejC’est aussi pendant ces trois étés que j’ai appris à regarder « les autres », à m’enrichir de leur mode de vie différent, à les respecter et finalement à les aimer comme ils sont. J’ai pris dans cette famille, ma famille, une grande leçon d’humanisme.

En 1957, alors que je devais partir faire mon service militaire début septembre, j’ai fait un séjour de 3 semaines environ chez Mor et Far.

Mor était triste car elle savait que pour moi en septembre, il y avait peut être un risque d’aller en Algérie, car la France menait là-bas une guerre qui provoquait la mort de nombreux jeunes hommes.

Elle était d’une grande tendresse pour moi, toujours près de moi avec des gestes très doux.

Le 23 août, ce fut la grande séparation avec Mor et Far. Je rentrais en France pour partir le 4 septembre 1957 faire un service militaire qui devait durer jusqu’au 26 décembre 1959.

Mor a pleuré, beaucoup comme à chaque séparation. Far avec son formidable humour a trouvé, comme d’habitude, des mots très drôles pour me dire son affection, et moi j’ai promis d’écrire et de revenir dès ma libération.

lemagasinEn 1960, j’ai rencontré Nicole, nous nous sommes mariés, et j’ai dû lui apprendre lentement que j’avais une autre famille au Danmark. Cela n’a pas toujours été facile.

En 1981, pendant nos vacances en Lozère ( dans le centre de la France), j’avais une grave blessure au pied gauche, et c’est alors que Lone a téléphoné pour nous dire que Mor était décédée. Marie-Pierre, seule à la maison, ne savait pas où nous étions, et n’a pas pu nous prévenir. C’était pour moi une grande douleur.

En 1984, le 14 juillet, Far est décédé, et c’est Lone qui nous a prévenus. Je suis parti pour Nykøbing, seul, en voiture.

Lone et Ellen ont eu la gentille attention de mettre mon nom dans l’annonce mortuaire qui est parue le lundi 16 juillet 1984 dans « Morsø Folkeblad »

Vores far

Aage SKOV

er død den 14, juli 1984

Ellen, Kirsten, Lone og Pierre

J’ai conservé ce journal précieusement car il est le témoignage que je fais partie de cette famille.

Pierre, le 22/10/2014

moretmoi